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François d’Assise était-il vraiment écolo ?

Interview de Jacques Dalarun, publiée dans l’hebdomadaire La Vie du 4 novembre 2021.

Le Poverello est apprécié par de nombreux défenseurs de l’environnement, qui voient en lui comme un prophète. Anachronisme ou vérité ? L’historien Jacques Dalarun démêle le vrai du faux.

SAINT FRANÇOIS D’ASSISE PRÊCHE AUX POISSONS, de Luc-Olivier Merson (1881). – AKG IMAGES

 

LA VIE. A-t-on raison de voir en François d’Assise un écologiste avant l’heure ?

JACQUES DALARUN. Oui ! Certes, cela s’apparente à un anachronisme, mais François d’Assise avait le sentiment de la fraternité absolue entre tous les êtres vivants et, au-delà, entre toutes les créatures. Son amour des pauvres est totalement indissociable de son amour des autres créatures, même s’il ne le dit pas explicitement. Il ne s’agit pas de faire de François un écologiste ou un communiste, car sa pensée est entièrement tendue par sa vision théologique du monde. Son discours sur les pauvres n’est ni plus ni moins que le discours de l’Évangile pris au sens strict. Dans le Cantique de frère Soleil, il dit :
« Loué sois-tu mon Seigneur par notre mère sœur Terre qui nous sustente et nous gouverne. »
C’est la première fois que quelqu’un dit que les hommes sont faits pour être gouvernés par la Terre et non pour la dominer et l’exploiter. Ce renversement de point de vue est stupéfiant ! Il n’y a pas de spécisme chez François, pas de hiérarchie des espèces. Il a bien l’idée que Dieu est intervenu pour sauver les hommes, et donc que Dieu a eu un amour particulier pour les hommes, mais François refuse toute hiérarchie.

Était-il végétarien ?
J.D. Pas du tout : il était omnivore. Il mangeait aussi bien du poulet que du poisson. Et cela a du sens : François assume notre animalité en mangeant ce que notre nature réclame. Dans sa pensée, croire que l’homme a des devoirs spécifiques vis-à-vis des autres animaux, c’est de l’orgueil. C’est penser qu’il est supérieur, dans une forme de paternalisme. Ainsi, détruire inutilement des animaux, écraser un ver de terre quand on marche, est impossible. Mais l’humilité demande que nous assumions notre condition, qui est de manger de tout, comme le porc ! François ne parle pas de nature, mais de « création ». À la différence d’une vision horizontale d’une nature éternelle de type épicurien, il a une vision verticale d’un Dieu créateur qui insuffle la vie à toute la création. Et ce lien vertical à Dieu crée un lien horizontal de fraternité entre toutes les créatures. Car, si nous avons un seul Père, nous sommes tous frères et sœurs. Parler de « nature », le plus souvent, c’est mettre l’homme en position de supériorité par rapport à son milieu de vie. L’idée de création a quelque chose d’infiniment plus riche.

Qu’aurait-il à dire aux écologistes d’aujourd’hui ?
J.D. Il est allé très loin dans le refus de l’anthropocentrisme. François a conscience de son animalité : il fait partie du règne animal et il l’assume. Le plus fort de son message est de refuser le regard paternaliste sur le reste de la création. L’idée de domination est étrangère à François ; il doit y avoir un échange de services. Nous faisons partie du vivant et nous n’avons pas à nous en extraire. Nous devons nous y intégrer de façon harmonieuse.

 

JACQUES DALARUN est médiéviste, directeur de recherche au CNRS, membre de l’Institut de France. Spécialiste mondialement reconnu de François d’Assise.

 

Le Transitus, un passage vers l’éternité

Le 4 octobre, l’Église célébrera saint François d’Assise.
Mais savez-vous que cette solennité débute
le 3 au soir par le Transitus ?
De quoi s’agit-il?

Transitus signifie l’action de franchir un passage, d’aller plus loin.
C’est ainsi que nous désignons, chaque année au soir du 3 octobre, la célébration de la mort de François d’Assise.

François ne subit pas la mort, il ne se contente pas de la vivre comme les autres moments de son existence, il la célèbre comme l’accomplissement de sa vocation. Pour lui, comme pour nous, la mort n’est pas un acte improvisé.
Elle peut donc se célébrer.
Voilà pourquoi un office liturgique, le Transitus, lui est consacré, dans nos fraternités, le 3 octobre au soir.
À travers hymne, psaumes et parole de Dieu, nous nous rappelons, pour y puiser des forces, comment, dans l’espérance, notre fondateur a vécu sa mort.

Retrouvez l’article complet de frère François Comparat paru dans « En frères n°3, le magazine des franciscains de France Belgique : VivreEnFrères-N°3-Transitus

Actualité de la règle de Saint François – Par le journal La Croix

 Le journal « La Croix » revient sur ces textes anciens qui ordonnent le quotidien de milliers de religieux, inspirant aussi de nombreux laïcs.

Pour voir l’article complet de Jacques Tyrol : La-croix.com

ou bien télécharger l’article au format PDF  : LaCroix-2017-11-18-La règle de saint François

 

Quelles sont les spécificités de la règle de Saint François ?

François n’a nullement eu l’intention de fonder un ordre religieux. « Il voulait juste réunir autour de lui des frères pour annoncer l’Évangile. Or, en Europe, la plupart des mouvements évangéliques semblables à ce qu’il voulait vivre (Vaudois, etc.) avaient été condamnés par le pape Lucius III », explique frère Luc Mathieu, ancien provincial des franciscains de la Province de Paris. « Le pape Innocent III, lui, a voulu réconcilier ces mouvements avec l’Église. François a donc profité de ce contexte pour aller lui présenter son projet de vie. Mais le pape lui a demandé de revenir le voir quand ils seraient plus nombreux autour de lui. »

En 1209, les frères sont 12. En 1217, ils sont… 5 000. Pour éviter des conflits de personnes et tenir compte des exigences canoniques de l’Église, François se résout à leur donner une règle de vie promulguée en 1221. Mais cette règle, « texte admirable, spirituel » selon frère Luc, aujourd’hui appelée Regula prima, ne peut être approuvée par Rome car elle n’est pas assez juridique. En 1223, François se retire donc à Fonte Colombo pour reprendre la rédaction. La règle est approuvée par la bulle Solet annuere du pape Honorius III. Elle est en conséquence nommée Regula bullata. Ce texte du Moyen Âge est toujours en vigueur, après avoir connu plusieurs actualisations.

Règle juridique, « elle reste cependant très évangélique », selon frère Luc : « La nouveauté est son insistance sur la fraternité et la pauvreté afin de rencontrer quiconque comme un frère, quelles que soient ses origines sociales, sa religion, etc. » Ce qui se traduit par un rapport à l’argent radical. Dans le quatrième chapitre intitulé « Que les frères ne reçoivent point d’argent », François défend « rigoureusement à tous les frères de recevoir, en quelque manière que ce soit, des deniers ou de l’argent, soit par eux-mêmes, soit par personne interposée » : « Cependant pour ce qui concerne les besoins impérieux des malades et les vêtements des autres frères, que les ministres seulement et les custodes en prennent grand soin, (…) ceci toujours excepté, comme il a été dit, qu’ils ne reçoivent ni deniers ni argent. »

Et deux chapitres plus loin, il insiste avec force : « Que les frères ne s’approprient rien, ni maison, ni lieu, ni quoi que ce soit. Et comme des pèlerins et des étrangers en ce monde, servant le Seigneur dans la pauvreté et l’humilité, qu’ils aillent avec confiance demander l’aumône ; et il ne faut pas qu’ils en aient honte, car le Seigneur s’est fait pauvre pour nous en ce monde. »

Qui s’inspire de cette règle aujourd’hui ?

Plusieurs dizaines de milliers de personnes, membres de la famille franciscaine, vivent aujourd’hui de la règle de saint François. D’abord les frères du premier ordre franciscain divisé actuellement en trois branches : frères mineurs franciscains, franciscains conventuels et capucins. Soit environ 28 000 personnes dans le monde dont environ 350 en France.

Le deuxième ordre franciscain, né avec sainte Claire d’Assise (1193-1253), connu sous le nom de clarisses, compte plus de 10 000 personnes dans le monde dont 500 en France.

Quant au troisième, il réunit les nombreux laïcs, hommes et femmes, qui suivent une règle inspirée par la spiritualité de François. Cette dernière a été recomposée sous Paul VI pour tenir compte de l’enseignement de Vatican II sur le statut des laïcs dans l’Église.

En quoi est-elle actuelle ?

La vie et l’expérience spirituelle de saint François, codifiées dans la règle de 1223, ont beaucoup inspiré l’Église catholique, notamment et peut-être surtout au sujet de la fraternité. « C’est cet aspect-là qui est le plus actuel à mon sens, relève frère Mathieu. Parce que nous sommes dans un monde divisé, violent, de domination des uns par les autres. Nous avons là une règle de paix dans laquelle tout le monde est considéré comme un frère. »

Premier pape à adopter le prénom de François, Jorge Bergoglio s’inspire de l’humble vie fraternelle et de l’esprit de pauvreté du Poverello d’Assise, notamment pour appeler à simplifier les relations entre les chrétiens, mais aussi à humaniser les structures sociales par un retour à l’esprit de l’Évangile. Dans l’introduction à son encyclique Laudato si’(n. 9), il écrit : « J’ai pris son nom (François) comme guide et inspiration au moment de mon élection en tant qu’évêque de Rome. Je crois que François est l’exemple par excellence de la protection de ce qui est faible et d’une écologie intégrale, vécue avec joie et authenticité. (…) En lui, on voit à quel point sont inséparables la préoccupation pour la nature, la justice envers les pauvres, l’engagement pour la société et la paix intérieure. »